2016LISA TOUBAS
Nicolas Nicolini est diplômé de l’École supérieure d’art & de design de Marseille-Méditerranées (ESADMM) où il s’est formé au dessin et à la peinture, devenues depuis ses pratiques de prédilection. Après un séjour à New York aux côtés de l’artiste et curatrice américaine Coco Dolle et trois années passées à Berlin, l’artiste choisit d’alterner entre Bruxelles et Marseille où il réside désormais et expose. La galerie Porte Avion propose jusqu’au 15 octobre 2016 une sélection de dessins issus de sa série Hors piste, à découvrir dans le cadre de l’exposition collective « Matières grises et noirs desseins ». Portrait d’un artiste « inclassable ».« A une époque, je photographiais tout ce que je traversais (à pieds, en voiture, en train ou à vélo) afin d’emmagasiner une base de donnée assez consistante. Et puis, tout doucement, la proximité avec ce réel pragmatique a nécessité l’appel d’éléments étrangers, d’une intervention parallèle, de manipuler ce qui nous est donné comme vrai, de se fabriquer un langage que l’on cherche à contrôler ou à échapper. Ma série « Hors piste » fut en ce sens un point de bascule important : j’ai arrêté l’utilisation de la photographie et du photomontage pour me consacrer à l’élaboration d’un répertoire de formes et de jeux encore inexploités dans ma pratique ».Hors piste est une série de vingt-six dessins au format unique entamée en 2016, se faisant tantôt les récits d’une journée, tantôt les souvenirs croqués d’une expérience, d’un moment, d’une pensée. Nicolas Nicolini se charge de titrer chaque image une fois le dessin réalisé, permettant une expérimentation du visuel à partir du dessin lui-même mais aussi grâce aux mots qui l’accompagnent. Chaque dessin est identifiable par son titre, de courts écrits se situant au plus proche des œuvres et qui sont « vecteur d’une identité dont [elles ne peuvent] parfois pas se passer ». Le spectateur est alors invité à la contemplation du sujet représenté, mais également à réfléchir sur le lien qu’entretient ce dernier avec son titre descriptif. On retrouve alors, dans cette idée de pousser la représentation au-delà de l’apparence physique de la réalité, une filiation avec les principes de la peinture métaphysique née en Italie au début du XXème siècle. Les rapports au temps et à l’espace sont brouillés, la liaison avec le réel est biaisée dans cet univers créé par l’artiste dans lequel la figuration devient pleinement métaphorique. Nicolas Nicolini pousse le spectateur à se questionner, et ce à partir d’images intemporelles et irréelles. A mi-chemin entre la critique et l’humour, usant de jeux de mots et d’allusions, l’artiste confère à chacun de ses « portraits d’objets » une dimension résolument énigmatique. Tout repère est aboli au profit d’une monumentalité et une disproportion des formes et d’une confusion entre abstraction et figuration. Chaque objet semble humanisé, prêt à bouger pour jouer la scène décrite, « titrée » par l’artiste, et ainsi lui donner vie. Nicolas Nicolini couche sur papier un imaginaire qui emprunte au réel sans pourtant jamais atteindre sa logique.« Il me semble essentiel que l’humour transpire au sein de mes travaux. Il est délicat de savoir à quel point l’humour peut être critique, insultant ou drôle, et cet aspect indéterminé coïncide avec ma vision de la peinture. Je rêve d’une pratique protéiforme où la retenue et l’attente d’un résultat n’existeraient plus, où le sensible côtoierait des formes plus grossières ».L’artiste développe, dans ses dessins ainsi que dans ses peintures, tout un répertoire de formes qui lui permet de s’interroger sur notre propre rapport au monde. D’imaginée et imaginaire, l’exagération devient critique, dénonciatrice. Chaque sujet, ainsi portraitisé, laisse alors transparaitre un côté grotesque et risible : « depuis l’abandon de la photographie comme esquisse, j’use de la disproportion et d’un rapport d’échelle tronqué afin d’alimenter mes interrogations sur le sort de notre société théâtralisé, où l’aliénation et la duperie généralisée convergent vers l’épuisement de soi. La notion de démesure est le symbole de cette aberration dont tout le monde est conscient, témoin, et souvent coupable ».
Lisa Toubas
http://pointcontemporain.com/focus-nicolas-nicolini-piste
2017MARION DELAGE DE LUGET
(...) Nicolas Nicolini œuvre résolument à rebours de ce principe d’unité que présuppose d’ordinaire la notion de discipline. Ainsi, sa peinture se décline dans une variété de matériaux et de moyens stylistiques : ici il adopte une facture réaliste, s’appliquant à rendre, à l’huile, le tombé d’un drapé, là une série d’acryliques abstraites montre une gestuelle expressionniste débridée. Et lorsque l’exécution s’avère similaire c’est alors sa palette qui diffère, allant d’un traitement achrome en strictes valeurs de gris jusqu’à une exagération des coloris telle que certaines toiles paraissent des études fauves de contrastes entre couleurs primaires et secondaires.Dans le travail de Nicolini chaque série, chaque pièce semble formuler une proposition discursive, sapant le confort sclérosant de la répétition figée et mécanique du même. Refusant une histoire et un art standardisé, il s’attache à trouver des sujets de satire dans la culture visuelle populaire comme dans celle dite « haute » – telle cette jument muse, incarnation absurde autant qu’irrévérencieuse de la beauté idéale, moquant les fétichismes éculés de la peinture occidentale. Dans ses travaux récents, il aborde avec cette même légèreté teintée d’ironie la question du parergon, ce qui cadre, au propre comme au figuré. Il figure en arrière-fond de ses toiles des rideaux, subterfuge dénotant le caractère artificiel, théâtral de la représentation. Plus, il retrace volontiers un cadre à l’intérieur du tableau. Et ce geste de réduplication des limites matérielles de la peinture résume parfaitement sa pratique : peindre c’est cadrer, c’est-à- dire choisir, comme dans un ready-made. Pour Nicolini la peinture est bien cette chose mentale, non plus seulement tributaire du métier. (...)
Extrait du texte de l'exposition Nicolas Nicolini / Shinyoung Park au Centre Culturel Coréen, Paris, 2017
2015JULIE CRENNEn 2011, lorsqu’il s’installe à Berlin, Nicolas Nicolini commence à peindre sur papier. Le format est unique : 70 x 100 cm. Le sujet va également le devenir. Il développe en effet une série intitulée Tas qui s’articule autour d’une silhouette informe, celle du tas de matières. Cette forme informe « n’a pas de nom ni d’origine, elle n’est pas personnalisable ou identifiable » et se prête aux projections et aux interprétations (1). Les Tas sont aussi bien des montagnes (souvenirs des calanques), des grottes, des vides et des pleins. La série se poursuit encore aujourd’hui, elle participe à un travail d’épuisement et/ou de renouvellement d’un même sujet. L’artiste explique : « La peinture est un médium d’exploration, elle est le sujet de ma pratique ». Peu à peu, un processus s’établit, d’autres séries éclosent. Inspiré par l’oeuvre de David Hockney, Nicolas Nicolini engage un travail de collage pictural. Les paysages sont composés à partir d’éléments hétéroclites extraits de photographies. Il crée alors des décors et une scène pour une variété d’objets dont il réalise les portraits. Les objets, littéralement plaqués dans les décors, apparaissent comme des corps étrangers, qui, même s’ils nous sont connus et familiers, introduisent un sentiment de malaise. Une incongruité que l’artiste explore à travers une nouvelle réflexion : la réserve et le repentir. Il s’approprie deux traditions picturales pour les mettre en jeu dans ses compositions. Ainsi, les silhouettes ou les fantômes des sujets-objets sont révélés par leur absence ou bien par la juxtaposition des couches de peinture. L’oeuvre de Nicolas Nicolini comporte un second niveau de lecture, aux considérations strictement picturales s’ajoute une vision critique. Des éléments liés aux loisirs et au divertissement sont souvent inscrits au coeur de ses compositions : une toile de tente, une piscine, un palmier, un bateau téléguidé, un tourniquet ou encore une balançoire. L’artiste parle de « romantisme contemporain », de scènes isolées évoquant une forme de nostalgie de vacances en famille où le rapport avec la nature est plus ou moins authentique. Si les objets semblent anodins, ils contiennent pourtant un propos sociologique. En creux, l’artiste esquisse un regard critique sur une société où les apparences priment sur la pensée et l’expérience. Le décor est le sujet. Les objets vecteurs d’artifice subsistent à la figure humaine. Les peintures soulignent une relation galvaudée non seulement à la nature, mais aussi aux notions de voyage, de vacances et de loisir. Les objets détournent l’expérience physique et sensorielle : le palmier est planté dans le jardin, il est arrosé par un système automatique ; la mer ou le lac sont réduits à l’échelle de la piscine ; le bateau est commandé par une manette. La relation à la nature est maîtrisée et contrainte à l’échelle du corps humain. Les objets participent à une duperie généralisée, celle de la théâtralisation de nos décors quotidiens.(1) Citations extraites d’un entretien avec l’artiste, septembre 2015.
2015SOPHEAP CHUOP Il s'agit pour Nicolas Nicolini de faire voir ce qui par d'autres aurait été simplement entrevu. Il faut penser son travail comme une aventure, plus riche de possibilités que la vision inaboutie, et pourtant figée dans les limites de leur cadre. Il peut y surgir l'esprit d'un rêve romantique, d'un fantasme symbolique ou d'une fantaisie fictionnelle. La dynamique qui s'opère ici fait de l'espace pictural un espace tendus vers la portraitisation d'un fragment du monde, qui est d'une certaine manière enregistré et porté par les procédés artistiques de l'artiste.
Les tableaux de Nicolas Nicolini sont les vecteurs d'une volonté de mettre en évidence ce qui est porteur d'une présence. L'idée de présence employée ici s'intéresse aux amas et aux masses, à leur corps et à l'espace qui les entoure, dans la puissance effective et dans le mystère de leur pure apparence. L'idée de présence privilégie ce qui est placé sur l'axe central du tableau et amplifie son pouvoir d'attraction. C'est l'apparition d'une image persistante qui est ici en jeu.
Nicolas Nicolini dissimule autant qu'il révèle. Semblable aux images rêvées, ses tableaux élisent un point de vue qui instaure quelque chose de mystérieux. Il ouvre avec ses travaux un champ d'investigation large : au pouvoir affectif que les amas ont sur lui, l'artiste répond en menant une exploration des zones de tensions située entre tranquillité apparente et vision énigmatique.
Le pouvoir d'attraction est aussi recherché ici. Tel est le terreau matriciel d'un grand nombre de ses œuvres. Sans qu'on puisse l'y réduire, le centre de gravité s'apparente à l'isolement d'une bouture, à la fertilisation d'une parcelle du monde que l'on peut observer pour mieux suivre les moindres frémissements de présence. Ces principes qui fondent la pratique de Nicolas Nicolini, l'esprit de productions qui s'y réalisent, des habitudes qui s'y reproduisent donnent à cette pratique une cohérence d'une grande force qui captive